J.O. 286 du 11 décembre 2003
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Texte paru au JORF/LD page 21105
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Mémoire en réplique des députés signataires du recours dirigé contre la loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile
NOR : CSCL0306992X
Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les conseillers, les observations en réponse du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi modifiant la loi no 52-893 du 25 juillet 1952 appellent de notre part les brèves répliques suivantes.
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I. - Sur l'article 1er de la loi
D'une part, le Gouvernement soutient l'idée que les dispositions critiquées seraient conformes à la Convention de Genève, et notamment à l'article 1er C 5/. Cette analyse repose sur une lecture erronée de cet article .
Le Gouvernement se trompe, notamment, en considérant que les demandeurs du statut de réfugié n'accédant pas à une audition par l'OFPRA en application de la clause de l'article 1er C 5/ seraient dans une situation objectivement différente des autres personnes menacées de persécutions.
En effet, cette disposition de la Convention de Genève s'applique pour les personnes qui disposent déjà du statut de réfugié. Elle tend à produire des conséquences pour le retrait du statut et non pour l'accès à celui-ci.
Cela signifie qu'au moment où le demandeur d'asile présente sa demande son droit à l'examen individuel du dossier est plein et entier. La Convention de Genève lui reconnaît le droit d'invoquer sa situation personnelle au moment où la clause de cessation serait éventuellement applicable. C'est dire qu'à l'instant de la présentation de sa demande initiale son droit à un examen individuel de sa situation ne peut être méconnu.
Puisque le Gouvernement entend se revendiquer de cette clause prévue par l'article 1er C 5/ de la Convention de Genève, il importe qu'il n'en fasse pas une lecture et une interprétation partielles.
En prévoyant ces deux régimes distincts, l'article critiqué ne peut qu'encourir la censure.
D'autre part, le Gouvernement s'essaye à justifier la notion d'asile interne. Il le fait au prix d'un raisonnement pour le moins étonnant s'agissant d'un droit constitutionnellement garanti. Pour y parvenir, il prétend que l'introduction dans notre droit du critère de l'origine des persécutions extérieures à l'Etat légitime, comme contrepartie, la possibilité de réserver l'hypothèse où les victimes de ces persécutions disposeraient d'une protection suffisante sur une autre partie du territoire (page 4 de ses observations).
Un tel raisonnement n'est pas constitutionnellement admissible.
Si la conciliation entre deux normes de valeur constitutionnelle est classique, il est inédit qu'un droit constitutionnel soit amoindri au motif de la reconnaissance, tardive, d'une notion consubstantielle à ce droit. Il n'est pas inutile de rappeler que notre droit était moins protecteur que la majorité des autres droits européens s'agissant du critère de l'origine des persécutions. Le fait de s'aligner sur ce standard élevé de protection ne peut donc conduire à l'amoindrissement d'une autre garantie.
A cet égard, le Gouvernement se hasarde à présenter de façon gravement inexacte la position du HCR sur ce point (page 5 de ses observations).
Contrairement aux énonciations du Gouvernement, le paragraphe 91 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la convention de 1951 et du protocole de 1967 relatifs aux statuts des réfugiés, édité par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, indique que « la crainte d'être persécuté ne doit pas nécessairement s'étendre à l'ensemble du territoire du pays dont l'intéressé a la nationalité. En cas de conflit entre des ethnies ou en cas de troubles graves équivalents à une situation de guerre civile, les persécutions dirigées contre un groupe ethnique ou national particulier peuvent être limitées à une partie du pays. En pareil cas, une personne ne se verra pas refuser le statut de réfugié pour la seule raison qu'elle aurait pu chercher un refuge dans une autre partie du même pays si, compte tenu de toutes les circonstances, on ne pouvait raisonnablement attendre qu'elle agisse ainsi » (Genève, édition 1992, page 23).
Cela montre, si besoin est, que le Gouvernement travestit la doctrine du HCR telle que fondée sur le droit international, et, surtout, que la notion d'asile interne est en contradiction évidente avec la notion même de persécution ouvrant droit au statut de réfugié, ou, à tout le moins, à l'asile dans un pays d'accueil.
Les garanties formelles dont ce concept d'asile interne paraît entouré ne peuvent tromper votre vigilance. Ce qui fait débat, ici, tient à une notion dont le but est de relativiser le principe du droit d'asile.
Cette notion ne peut être constitutionnellement admise sauf à affaiblir gravement le droit d'asile en tant que tel.
II. - Sur les articles 2 et 5 de la loi
Le Gouvernement prétend que la seule conséquence attachée à la notion de « pays d'origine sûrs » est d'ordre procédural et qu'à ce titre elle ne prive d'aucune garantie les exigences constitutionnelles. Il se fonde, par ailleurs, sur la proposition de directive européenne ayant prétendument fait l'objet d'un accord politique.
En premier lieu, il convient de rappeler que les garanties procédurales figurent en cette matière parmi les garanties liées à la valeur du droit d'asile (décision du 13 août 1993 précitée). Affaiblir le droit d'asile au travers de la privation ou de l'amoindrissement de ces garanties procédurales revient à priver de garanties légales les exigences constitutionnelles en cause.
L'argument du Gouvernement est, à cet égard, inopérant.
En deuxième lieu, il faut porter à votre connaissance des informations de la première importance que le Gouvernement semble s'être dispensé de faire valoir dans ses observations.
Le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, M. Ruud Lubbers, a suggéré, le lundi 24 novembre 2003, à l'Union européenne d'enterrer son projet de directive sur le droit d'asile, estimant que le texte du projet était à la limite du droit international. Il a considéré que ce projet « s'écarte de façon importante de la loi et des principes internationaux des réfugiés et des droits de l'homme établis depuis plus de cinquante ans ». Il a particulièrement critiqué le concept de pays d'origine sûr car de nature à mettre en danger les demandeurs d'asile (dépêche AFP, 241825, bar/avz/juv).
Dans sa réponse, M. Antonio Vitorino, commissaire européen chargé de la justice et des affaires intérieures, a assuré M. Ruud Lubbers que « la Commission ne va pas soutenir quoi que ce soit qui contrevienne à la Convention de Genève ou aux droits de l'homme les plus élémentaires » (dépêche précitée).
Or, quelques jours après, le 27 novembre 2003, les ministres de l'intérieur de l'Union européenne ont décidé de suspendre les discussions sur la mise en place d'un régime d'asile européen commun devant l'impossibilité de parvenir à un accord sur un texte clé de l'harmonisation entamée depuis 1999. Selon une dépêche AFP, « les Quinze sont également divisés sur les pays à inclure dans une liste de "pays d'origine sûrs » (voir production jointe : AFP, 272020, far/pg/ap).
On le voit, contrairement aux affirmations hâtives du Gouvernement, il n'existe pas d'accord politique à cet égard tant les contradictions relevées par les autorités internationales et européennes entre la proposition de directive et les droits fondamentaux du demandeur d'asile et du réfugié sont flagrantes.
Cette notion de pays d'origine sûrs doit être analysée comme contraire aux exigences constitutionnelles. Il ne peut donc être admis que la loi introduise une telle catégorie en référence à une hypothétique directive dont le contenu est susceptible d'évoluer dans un sens inconnu à ce jour.
Il serait donc pour le moins paradoxal que vous vous priviez d'exercer votre contrôle au regard d'une loi nationale au motif qu'une proposition de directive existe et alors même qu'aucun accord politique n'a été conclu à son égard. Ce serait renoncer à vos prérogatives et admettre par anticipation une violation des exigences constitutionnelles liées au droit d'asile, telles que tirées du préambule de la Constitution de 1946, des articles 53-1 et 88-2 de la Constitution.
De ces chefs, la censure est certaine.
En troisième lieu, s'agissant de la méconnaissance de l'article 21 de la Constitution, le Gouvernement qualifie la liste des pays d'origine sûrs de décision d'espèce non réglementaire.
Les exemples jurisprudentiels donnés par le Gouvernement n'emportent pas l'adhésion. On y opposera, par exemple, l'hypothèse d'une modification de liste provoquant un changement dans la mise en oeuvre d'une réglementation, telle la modification de la liste des titres ou diplômes permettant l'accès à un concours ou l'exercice de certaines activités (CE 9 décembre 1977, Cons. nat. de l'ordre des pharmaciens, p. 492) ou les décisions modifiant la liste des substances délivrables sans ordonnance médicale (CE Sect. 28 avril 1967, Féd. nat. des synd. pharm., p. 180), ou bien encore celle des spécialités remboursables par la sécurité sociale (CE 22 mai 1968, Société des laboratoires Beytout, p. 817).
Le caractère réglementaire reconnu à ces décisions portant adoption ou modification d'une liste doit l'être tout également pour la liste des pays d'origine sûrs. En effet, à la différence de l'inscription sur une liste d'une commune au nombre desquelles une association de chasse agréée doit être créée (CE Sect. 22 février 1974, citée par le Gouvernement), l'établissement de cette liste par l'OFPRA emporte des conséquences juridiques sur l'exercice d'un droit constitutionnellement garanti, y compris par la protection accordée par des règles de procédure.
A n'en pas douter, les effets attachés à cette liste lui confèrent un caractère réglementaire car modifiant les règles de procédure utilisées pour apprécier le bénéfice ou non d'un droit constitutionnel. C'est pourquoi, et quoi qu'il en soit de l'inconstitutionnalité même de la notion de pays sûrs, une telle compétence ne peut être reconnue à l'OFPRA sans violer l'article 21 de la Constitution.
La censure s'impose donc.
En quatrième lieu, il convient de relever que le Gouvernement ne répond pas au grief tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité dont bénéficie la Commission de recours des réfugiés en qualité de juridiction spécialisée (page 11 du recours).
Pourtant, l'indépendance des juridictions participe du droit à un procès équitable dont vous avez réaffirmé à de nombreuses reprises la valeur constitutionnelle.
En s'abstenant de contester cette branche du moyen, le Gouvernement doit donc être regardé comme ayant acquiescé à l'argumentation de la saisine.
En dernier lieu, concernant la communication de certains documents aux agents du ministère de l'intérieur, il convient d'insister sur votre propre jurisprudence qui vise « la confidentialité des éléments d'information détenus par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides relatifs à la personne sollicitant le statut de réfugié » (décision du 22 avril 1997 précitée).
Cette garantie est attachée au droit de demander le statut de réfugié non au résultat de la procédure. Encore une fois, les documents en question peuvent mettre en danger tel demandeur, dont le dossier aurait été rejeté, mais aussi sa famille ou ses proches ou ses soutiens dans son pays d'origine.
Ouvrir une telle brèche dans la logique de ce droit protecteur, c'est le considérer comme divisible et contingent.
III. - Sur l'article 6 de la loi
Le Gouvernement soutient que le fait de priver d'audition un demandeur d'asile ne rompt pas l'égalité devant la loi dès lors que l'examen individuel du dossier est préservé.
Cet argument est inopérant.
Les droits de la défense et l'examen individuel du cas de chaque demandeur forment un tout au coeur duquel siège le droit de présenter des observations orales grâce à une audition. Au regard de l'objet de la présente loi comme au regard de l'intérêt général poursuivi par ce texte, rien ne justifie que certains demandeurs d'asile bénéficient d'une procédure partielle par rapport à d'autres personnes dans une situation objectivement et rationnellement identique à la leur.
Quand on mesure l'importance des auditions pour faire valoir certains dossiers que la procédure écrite ne peut restituer dans leur complexité et leur humanité, priver certains demandeurs d'une partie de leurs droits est inconstitutionnellement inadmissible.
La censure est encourue.
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Pour toutes ces raisons, les saisissants persistent de plus fort dans leurs observations.
Nous vous prions de croire, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.